Un des effets pervers du néolibéralisme

Un article de Pauline Gravel publié dans Le Devoir du 11 mai sous le titre « Plaidoyer en faveur de l’enseignement des langues anciennes » a soudainement éveillé en moi des souvenirs encore frais de mes huit années de cours classique pendant lesquelles j’ai baigné dans notre langue d’origine lointaine qu’est la latin.

Puis, avec les années, j’ai pu me rendre compte à quel point ce « bain » de connaissances du latin avait pu jouer autant sur ma connaissance du français au niveau linguistique que sur mes capacités d’analyse et de synthèse, deux éléments essentiels à la formation de l’esprit critique et de la résolution de problème.

Mais revenons à l’article de Mme Gravel et regardons les raisons qui, selon Thierry Petit, professeur au Département d’histoire de l’Université Laval, ont conduit à la disparition de l’enseignement du latin : « L’esprit antiélitiste et anticlérical qui a animé la société québécoise à la suite de la Révolution tranquille a bien sûr contribué à cette disparition. Mais la vague de néolibéralisme, qui sévit dans le domaine des études secondaires et qui atteint maintenant le monde universitaire, n’a rien fait pour y remédier. Les temps sont désormais à l’utilitaire et à la rentabilité. Leurs adeptes entendent faire des jeunes générations des outils productifs efficaces, dans une société où l’économie a pris le pas sur toute autre considération. Au nom de ce nouveau Moloch, les disciplines non directement rentables sont vouées à disparaître ».

À mon sens, M. Petit touche au « nerf de la guerre » en attribuant la disparition du latin, voire même « les disciplines non directement rentables » au néo-libéralisme qui privilégie « l’utilitaire et la rentabilité » et « [fait] des jeunes générations des outils productifs efficaces ».

Selon Geneviève Issalys, une ancienne diplômée de l’Université Laval en grec ancien et en latin qui a enseigné le latin au secondaire avant de devenir consultante en éthique professionnelle dans les domaines éducatif et social, elle utilise tous les jours les concepts qu’elle a acquis durant ses études de grec ancien et de latin. « Ces concepts, affirme-t-elle, nous confèrent une compréhension du monde et une absence de certitude qui nous aident à réfléchir, à délibérer, et qui procurent une rhétorique qui est essentielle pour faire valoir nos idées ».

Au risque de paraître pour un dinosaure d’une époque préhistorique [ce qui en soi ne me déplaît nullement compte tenu des avantages que me procure aujourd’hui mon séjour dans cette époque lointaine], je suis convaincu q’une école secondaire actuelle qui aurait la témérité d’offrir dans son curriculum l’enseignement du latin verrait sa clientèle augmenter de façon significative et, qui plus est, attirerait dans son sillon d’autres directions d’école.

Pour connaître d’autres arguments relatifs à l’importance du latin dans la formation de notre jeunesse, je vous invite à lire l’opinion de Christian Rioux parue dans Le Devoir du 17 mai sous le titre « Vive le latin » dont voici un extrait :

« Comme le soulignent nos « rêveurs » de l’Université Laval, l’enseignement du latin aurait plusieurs vertus, surtout dans un pays où les programmes de français ont si radicalement expulsé la littérature. La première consisterait à renouer avec les racines gréco-latines de notre civilisation. À lire les programmes actuels d’histoire ainsi que d’éthique et de culture religieuse, on a l’impression que les Amérindiens et l’animisme ont eu plus d’influence sur la culture québécoise que la grande tradition gréco-latine. Ce qui est risible. À feuilleter certains manuels, on croirait même qu’un nouveau clergé, guère plus éclairé que l’ancien, a mis les humanités à l’index au profit de la pensée cool et jetable.

L’autre grande qualité de l’enseignement des langues mortes, c’est de forcer les élèves à l’un des exercices les plus formateurs qui soit : la traduction. Depuis que l’enseignement des langues vivantes est axé sur l’oral, la traduction est pratiquement disparue des écoles. Or, il n’y a rien de plus formateur que de s’interroger, pour traduire la pensée d’un auteur, sur le sens exact d’un mot, son étymologie et sa place dans la phrase. Cette discipline est le fondement même de tout travail sur la langue et, par voie de conséquence, sur les idées. À plus forte raison dans un pays où tant de nos élites parlent deux langues secondes. »

quebechebdo 15 mai 2013 "Les effets pervers du néolibéralisme" (version abrégée)
vigile.net tribune libre 17 mai 2013

Laisser un commentaire

Vous devez être connecté pour laisser un commentaire.
Accéder à la page de connection.
Créer un compte sur henrimarineau.com.