La méthode Harper…chacun dans sa cour
Selon les données d’un sondage réalisé par la firme CROP, après deux ans de gouvernement conservateur majoritaire, les Québécois rejettent massivement le parti de Stephen Harper à 90% des intentions de vote. Majoritaire à Ottawa, le 2 mai 2011, avec l’appui de seulement 17 % des votants et six députés au Québec, le gouvernement a fait son lit ailleurs au pays, principalement en Ontario rural et dans l’Ouest.
Pour le politicologue Guy Laforest, de l’Université Laval, « Le Québec est devenu insignifiant sous le gouvernement Harper majoritaire…Jamais depuis 1867, le Québec a si peu compté à Ottawa. ». Son collègue Réjean Pelletier partage cet avis : « M. Harper ne mise plus sur le Québec, il a fait une croix sur ce vote comme sur qui loge à l’est de la rivière des Outaouais ».
« Si M. Harper était plus à l’écoute lorsqu’il était minoritaire, soutient M. Pelletier, tout cela est fermé. Il ne veut plus négocier, rencontrer les premiers ministres. Aujourd’hui, c’est chacun dans sa cour, et occupez-vous de vos compétences. »
Harper et ses troupes agissent comme si le gouvernement avait piétiné en situation minoritaire entre 2006 et 2011 en utilisant leur majorité essentiellement pour rattraper ce temps perdu. Selon M. Pelletier, « le gouvernement Harper fait ce qu’il veut, il reprend ce qu’il a essayé de faire en situation minoritaire, il n’a plus vraiment de contraintes et même l’opinion publique ne semble pas l’énerver beaucoup. »
Ainsi, mois après mois, les bleus annoncent ou répètent des initiatives dans la foulée de leur programme du « law and order », modifiant une bonne centaine de lois touchant d’innombrables dossiers chauds, sous prétexte que les débats avaient assez duré et que les électeurs avaient pris leur décision. C’est ainsi que deux documents de plusieurs centaines de pages ont reçu la même attention qu’un projet de loi anodin d’une quinzaine de pages.
Rien n’illustre mieux la méthode Harper que l’utilisation, le jour même du deuxième anniversaire de sa victoire, d’un 32e bâillon parlementaire, ce qui place ce gouvernement en tête des records des bâillons, dépassant ceux de Jean Chrétien, de 1997 à 2000, et de Brian Mulroney, de 1989 à 1993.
« Stephen Harper n’aime pas les combats de rue, il évite les discussions. Il n’y a plus d’écoute, plus de volonté de négocier, même avec des limites, avec les provinces. Le fédéral décide unilatéralement », estime M. Pelletier.
Par ailleurs, dans ce décor plutôt noir, demeure toujours le « mystère » de la Capitale nationale, un phénomène qui secoue les milieux politiques fédéral et provincial, particulièrement depuis le référendum de 1995, au moment où l’électorat s’était distingué par son faible appui au Oui, qui, peut-être plus que l’argent ou le vote ethnique, a assuré la victoire fédéraliste.
Mais comment expliquer ce « mystère Québec » ? Selon plusieurs politicologues et sociologues, l’attrait du pouvoir, reconnu dans une capitale comme l’est du Québec, la sécurité linguistique, le monoculturalisme « pure laine », la prospérité économique et le vieillissement d’une population à peine touchée par l’immigration, représentent tous des facteurs déterminants qui distinguent la région du reste du territoire.
Dans ce contexte, le parti conservateur espère percer chez les électeurs de Régis Labeaume, la construction du nouvel amphithéâtre permettant de jeter un peu de baume sur certaines bévues conservatrices, et le conservatisme viscéral d’une bonne partie des électeurs de même que la présence assidue des ministres et des députés conservateurs jouant aussi un rôle dominant dans cet engouement pour le parti conservateur.
À ce « conservatisme viscéral » de l’électorat de la Capitale nationale [pour lequel j’éprouve un malaise « viscéral » en tant que citoyen de cette ville], j’ajouterais que le fait qu’elle soit le « château fort » des fonctionnaires du gouvernement augmente la propension de son électorat à se tourner irrésistiblement vers l’attrait du pouvoir.
vigile.net tribune libre 7 mai 2013
Henri Marineau

