Lucien Bouchard, un homme au parcours tortueux
D’entrée de jeu, je vous cite un extrait d’un article de Lucien Bouchard paru dans Le Devoir du 26 juin 1990 sous le titre « Le vrai pays » à l’époque où il a été chroniqueur au Devoir pendant quelques mois. Abordant l’échec du lac Meech, Lucien Bouchard déclare :
« Ce qu’on vient de nous dire en clair, c’est que nous ne pouvons avoir qu’un seul pays. Nos partenaires ont choisi le leur, c’est le Canada auquel ils subordonnent toute appartenance provinciale. Ils nous demandent de faire de même. C’est brutal, cela peut même être déchirant, pour certains, mais c’est net. Eux aussi, ils en ont assez de l’ambiguïté. Du coup, nous sommes envoyés à nous-mêmes, à nos racines, à nos fidélités profondes, au vrai pays que nous n’avons jamais cessé de porter en nous, au Québec… Combien de vilenies nous faut-il essuyer pour comprendre qu’ils ne veulent pas de nous ? Apparemment, il nous en fallait une de plus. Acceptant de nous faire demandeurs – et encore pour un minimum délayé en cours de route – après avoir subi le rejet de 1981, nous avons à nouveau tendu la main. Mais cette main fraternelle, un peu naïve et qui avait, à la fin, quelque chose d’un peu trop suppliant, à mon goût, on vient de la repousser. »
Il s’en est coulé de l’eau sous les ponts depuis cette époque et même bien avant 1990…La relation de Lucien Bouchard avec la politique est complexe, s’affiliant au cours des années avec différents partis politiques prônant des idéologies fort différentes. En effet, il songe d’abord à travailler pour le Parti libéral du Québec lors de la campagne de 1970, mais est profondément ébranlé par les événements de la Crise d’octobre, surtout par l’imposition par Pierre Elliott Trudeau de la Loi sur les mesures de guerre, une action demandée par Robert Bourassa. En même temps, il est un grand admirateur de René Lévesque qu’il prendra l’habitude de citer souvent dans ses discours.
Lucien Bouchard travaille pour l’option du « Oui » lors du référendum de 1980. En 1985, il est nommé ambassadeur du Canada en France par Brian Mulroney, un ami proche qu’il avait rencontré à l’Université Laval. Il se joint au gouvernement progressiste-conservateur de Mulroney en 1988 à titre de Secrétaire d’État et plus tard ministre de l’Environnement, et quittera ce poste le 22 mai 1990. Tout en demeurant un nationaliste québécois, il croit que l’accord du lac Meech proposé par Mulroney serait suffisant pour que le Québec demeure dans la confédération canadienne.
Après l’échec de Meech, Lucien Bouchard est rejoint par plusieurs collègues conservateurs et libéraux du Québec qui fondent avec lui le Bloc québécois. Le Parti québécois fait campagne pour le Bloc lors de l’élection fédérale de 1993, afin de préparer le Québec pour la souveraineté. Lors de cette élection, le Bloc québécois remporte 54 des 75 circonscriptions québécoises. Le Bloc ayant remporté le deuxième plus grand nombre de sièges dans cette élection, Lucien Bouchard devient le premier Chef de l’Opposition indépendantiste québécoise à Ottawa.
Le 12 juin 1995, Lucien Bouchard signe, en tant que leader du Bloc québécois, une entente tripartite avec le chef du Parti québécois, Jacques Parizeau, et le chef de l’Action démocratique du Québec, Mario Dumont. Cette entente établit le chemin du référendum sur une « offre de souveraineté assortie d’un partenariat ». Fidèle aux convictions de René Lévesque, Bouchard convainc Parizeau d’inclure un plan d’association avec le Canada dans la question référendaire.
Après la défaite de l’option souverainiste lors du référendum de 1995, Jacques Parizeau démissionne aussitôt de son poste de Premier ministre du Québec. Lucien Bouchard démissionne quant à lui de son siège aux communes en 1996 et devient chef du Parti québécois le 27 janvier 1996.
Sur la question de la souveraineté, Lucien Bouchard déclare qu’en raison de l’absence de « conditions gagnantes », dont il ne précise pas la nature, aucun référendum ne sera déclenché, une des principales préoccupations du gouvernement Bouchard et considérée comme faisant partie des conditions gagnantes, étant la récupération économique à travers le « déficit zéro ».
Finalement, Lucien Bouchard se retire de la vie politique le 8 mars 2001 en démissionnant de son poste de Premier ministre en déclarant que son échec à ranimer la flamme souverainiste est une cause de son départ, et il en prend la responsabilité dans son discours d’adieu. Lucien Bouchard, considéré comme plus modéré sur la question de la souveraineté que les Premiers ministres péquistes précédents, faisait également face aux critiques des radicaux de son parti, pour ne pas avoir engagé la province dans un troisième référendum sur la souveraineté dans le cours de son mandat.
Un parcours pour le moins tortueux, à l’image des allégeances politiques de Lucien Bouchard qui a nagé du fédéral au provincial comme un poisson dans l’eau. Il est un de ses personnages publics dont nous ne connaîtrons probablement jamais le vrai visage…une énigme que je qualifierais de nuisible, voire même nocive, dans un monde où la transparence et la congruence devraient être des qualités essentielles si l’on souhaite obtenir quelque crédibilité auprès de l’électorat.
vigile.net tribune libre 17 avril 2013
Henri Marineau

